mercredi 31 mai 2017

Bérénice, Aurélien et la maison aux volets verts...

Dans les années 1920, Monet est un vieil homme dont les yeux sont atteints de cataracte... Dans son roman Aurélien, à travers le regard et les rêveries de son héroïne Bérénice, Louis Aragon décrit le jardin et la maison de Giverny à cette même époque  :

"Qu'est-ce que c'était, ces fleurs ? On dit qu'il n'y a pas de vraies fleurs bleues. Pourtant... Qui sait, s'il les voyait bleues, le grand vieillard, là-dedans ? On disait que ces yeux étaient malades. Il pouvait devenir aveugle. Terrible à penser. Un homme dont toute la vie était dans les yeux. Il avait quatre-vingts ans passés. S'il devenait aveugle... On pouvait l'imaginer exigeant encore qu'on arrachât les fleurs avant qu'elles fussent fanées, ces fleurs que de toute façon il ne verrait plus... Les fleurs bleues feraient place à des roses. Puis il y en aurait de blanches. Chaque fois, d'un coup, comme si on repeignait le jardin. A quel degré de nostalgie faut-il en être arrivé pour ordonner cela ? Des jardiniers passaient au fond, dans le jardin. Ils avaient l'air inquiet et désœuvré. Ils semblaient inspecter les fleurs. Si par hasard on avait oublié une de ces marguerites orangées qui étaient là hier ? Dans un coin quelconque... Est-ce qu'on sait ce qu'on peut laisser quelque part dans son cœur ? Quelles lettres traînent dans nos tiroirs ?


Bérénice appuyait son visage à la grille. La maison, derrière les buissons de fleurs, était calme et comme vide. Peut-être y dormait-on. Ses volets verts, son toit rouge... Elle avait un peu l'air d'une maison coloniale. Le reflet des fleurs bleues traînant sur les cailloux des allées. Peut-être n'y avait-il personne que l'ombre des jardiniers, aux pieds silencieux... Et Bérénice. Et les rêves de Bérénice.
 Louis Aragon, Aurélien, Chapitre LXIII, 1944.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire